mardi 29 avril 2014

"Oh Mother, I can feel the soil falling over my head
See, the sea wants to take me
The knife wants to cut me
Do you think you can help me?"  I Know It's Over - The Smiths



Troisième album studio des Smiths généralement nommé comme le meilleur, et même reconnu véritable chef-d'œuvre. Il y en aurait tant à dire sur The Queen Is Dead. Il s'en dégage une telle force, mêlée de fragilité. Les chansons s'y succèdent dans une continuité d'une cohérence pertinente. Morrissey y maîtrise sa voix à la perfection, cette voix si particulière: l'éblouissante beauté du chant, associé au génie musical de Johnny Marr, en devient troublante. La pochette donne le ton: Alain Delon est étendu sur le sol dans le film L'Insoumis, image du désespoir romantique. Créé durant la désagréable Angleterre de Thatcher, The Queen Is Dead a atteint la deuxième place des charts britanniques lors de sa sortie en juin 1986 et s'est imposé miroir de la jeunesse désenchantée. Tour d'horizon de l'album, couronné par le NME comme le plus grand de tous les temps.

Le disque remue les tripes dès les premières notes avec le roulement de batterie entêtant qui démarre l'éponyme chanson The Queen Is Dead, sonnant presque punk. A la manière des Sex Pistols avant lui, Morrissey dit "Moz" s'en prend à la reine (et tant qu'à faire au Prince Charles) et la met à mort. Le chanteur l'annonce clairement "la vie est très longue quand tu es seul", solitude qui le poursuivra dans le reste de l'album.

Dans Frankly, Mr Shankly,  il attaque son propre label Rough Trade, ressentant que son groupe se fait arnaquer financièrement. La chanson est légère, fougueuse, malgré les paroles piquantes, avant la pesante et non moins magnifique émotion qui va suivre...
L'album se dote d'une tristesse accablante dès le troisième morceau avec I Know It's Over. Moz se sent appeler par le suicide et se lamente de son chagrin d'amour après une histoire qui n'a jamais vraiment commencée:


"Je sais que c'est fini
Tout de même je m'accroche 
Je ne sais où je pourrais aller
Fini, fini, fini, fini
Je sais que c'est fini 
Et cela n'a jamais vraiment commencer 
Mais dans mon cœur c'était si réel"

En même temps qu'il philosophe:


"Il est si facile de rire
C'est si facile de détester
Il faut du cran pour être doux et gentil"





Les plaintes déchirantes, viscérales, du chanteur se poursuivent sur Never Had No One Ever: l'harmonie entre le jeu de guitare de Marr et l'apogée de la douleureuse solitude qui émane du chant atteint son paroxysme. L'émotion est à son comble, on entend Morrisey pleurer. 
La très enjouée Cemetry Gates enchante après tant de tristesse. Morrissey nous emmène dans un cimetière où il lit "gravement les tombes" et se demande "Tous ces gens, toutes ces vies / Où sont-ils maintenant? / Avec de l'amour, et de la haine / Et des passions comme les miennes". Puis il répond aux accusations de plagiat par la presse "Keats and Yeats are on your side / While, Wilde is on mine." ( "Keats et Yeats sont  de votre côté / Alors que Wilde est du mien." ). Paradoxalement, le texte est truffé de citations d'autres auteurs: l'humour du chanteur.
Vient Bigmouth Strikes Again où Moz se qualifie de grande gueule qui ne peut s'empêcher de porter ses coups, chanson qui a quelque chose d'acerbe et de très drôle quand il dit ironiquement savoir ce que Jeanne d'Arc a ressenti sur le bûcher, lui, le martyr de la presse.
Morrissey affiche une certaine détresse sur l'autobiographique The Boy With The Thorn In Is Side, les gens ne croient pas ses paroles "Comment peuvent-ils m'entendre dire ces mots / Et pourtant ne pas me croire / Et s'ils ne me croient pas maintenant / Me croieront-ils jamais?". Son chant se transforme en envolée lyrique.
Certes, le texte est brillant et se moquer des moeurs de l'église en imaginant un pasteur en tutu est marrant, mais Vicar In A Tutu est un peu en dessous du reste de l'album, bien qu'il crée la transition entre le morceau précédent et le suivant.
There Is A Light That Never Goes Out ou la beauté du romantisme incarnée en une chanson, la chanson phare des Smiths, évoque un jeune homme en quête de liberté, rêvant de fuir sa demeure où il n'a pas vraiment sa place: "Take me out tonight / Oh take me anywhere, I don't care / Don't care, don't care" ("Emmène-moi ce soir / Oh emmène-moi n'importe où, je m'en fiche / Je m'en fiche, je m'en fiche"). On y perçoit, encore, les fantasmes suicidaires et angoissants du chanteur:

"
And if a double-decker bus
Crashes in to us
To die by your side
Is such a heavenly way to die
And if a ten ton truck
Kills the both of us
To die by your side
Well the pleasure, the privilege is mine"


("Et si un bus à impériale / Se crashe sur nous / Mourir à tes côtés est une façon si divine de mourir / Et si un camion de dix tonnes / Nous tue tous les deux / Mourir à tes côtés / Bien le plaisir, le privilège est mien")

Romantisme morbide donc, à la fois lumineux. Marr aura l'idée d'y ajouter un air de flûte: magnifique.




Some Girls Are Bigger Than Others, qui clôt le disque, est agréable à écouter. Moz y tente-t-il un plaidoyer en faveur des différences corporelles entre les femmes? Lui qui s'intéressait aux idées féministes de l'époque.

Marr, le musicien, et Morrissey, le poète, nous livrent sur The Queen Is Dead une prouesse musicale et littéraire. L'alchimie entre les deux compères, cette magie qui ne s'explique pas, y est plus que jamais exacerbée. Un album entre ombre et lumière, tristesse et drôlerie, comme l'annonçait la pochette teintée d'un vert lugubre et d'un rose provocant: à l'image des Smiths.





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